
Nouvelle aventure, printanière cette fois, après 9 mois sans vacances et une Triumph réclamant de la poussière et des cailloux. Prétexte fallacieux, elle ne réclamait rien, la ferraille ne réclame pas. Fallait juste que je quitte quelques jours l’académico-urbain pour aller me ressourcer dans des paysages et des atmosphères où nature et géologie l’emportent sur bitume et mondes construits. Je me suis donc approprié les traces du Trans European Trail , sur la partie espagnole, qui rejoint Tarifa tout au Sud, à Vielha, tout au Nord. 2200km de pistes, sentiers, passages de gai, traversées de gorges, de plateaux arides, de hauts cols non routiers, réalisés en 10 jours, auxquels s’ajoutent les 1300km routiers pour rejoindre le début de la trace lors des deux premiers jours. Tout était bien préparé en amont, matériel anti crevaison, sangles de tractages, 2 vieux mobiles pour la trace GPS (parce qu’on est vraiment loin de la civilisation souvent). Tout, sauf…. la préparation physique (j’ai embarqué avec moi tout le gras de l’hiver), laquelle aura manqué à deux reprises.
Résumé jour après jour. Bonne lecture
Jour 1 et 2: Rabastens – Gaucin (au nord de Tarifa): 1300km
Descente en Andalousie rapide, avec une nuit à Tolède à l’issue des 850km du premier jour, puis à Ronda à l’issue du deuxième jour (450km). Que du connu souvent arpenté, mais toujours avec plaisir. Une traversée des Pyrénées encore enneigées, l’atmosphère et l’architecture de Tolède, la magnifique Vallée de Alcudia au Sud de Ciudad Real, et la Peñarrubia et ses lacs à l’Ouest d’Antequera, avant d’arriver, soleil couchant, au pied du célèbre Pont de Ronda.










Jour 3: Gaucin – Tolox: 205km
Premier jour de la remontée off-road. Dans les montagnes qui surplombent la côte germano-hispanique de Marbella, connues pour leurs villages blancs. De belles pistes qui alternent sommets et fonds de vallées, avec des passages de gais encore difficiles en cette saison du fait du niveau des cours d’eau, et plusieurs éboulements et arbres couchés à franchir. Des vues à couper le souffle sur la Méditerranée et les côtes marocaines, des passages techniques mais à la portée de mon niveau « touriste » en off-road. Bref, tout se passe bien, jusqu’à ce que vers 17h, à la sortie d’un sentier de sous-bois, se présente devant moi LE passage impossible de tout le voyage. Mince, dès le premier jour, la sanction est rude !
La situation: je suis sur un sentier descendant étroit entre paroi et ravin (voir photos), et en face de moi, un ruisseau auquel on accède par des marches rocheuses abruptes, et duquel on ressort par un talus pentu trop haut pour un passage seul sans aide. Donc pas le choix, le demi-tour s’impose. Mais comment? Don’t panic, ça sert à rien. On retire la trentaine de kilos de bagages arrimés sur les 220 kilos de la moto, on couche la moto au sol (le terrain ne permettant aucun béquillage), et on réfléchit, on mesure. Plus bas, dans le chaos rocheux, c’est très pentu, mais la largeur semble suffisante pour retourner la moto. Si je n’arrive pas à en ressortir, c’est pas grave, j’ai de quoi manger et boire pour la nuit, mais au moins, la moto ne tombera pas dans le ravin, et il suffira d’attendre le passage de randonneurs ou autres tarés de mon genre pour trouver l’aide nécessaire, ou marcher pour aller chercher de l’aide.
Cela aura pris 1h30 de manœuvre, j’y suis parvenu. Je repars à contre sens ayant repéré une trace alternative pour contourner le piège. Dans mon casque, je réfléchis : « Punaise, j’espère qu’il n’y aura pas autant d’obstacles insurmontables tout au long de mon périple !! ». J’accuse un peu le coup de la fatigue, perd peut-être un peu en concentration, jusqu’à ce que dans une petite épingle, 15 minutes à peine après m’être sorti du piège, je perds l’équilibre, tombe comme un novice…. avec le pied droit coincé sous les 250 kilos de la moto. Là, je craque un peu, la douleur est forte et je ne parviens pas à soulever la moto sous laquelle je suis couché, en dévers, la tête vers le bas. « Ayuda », « Help », « A l’aide », en vain. Re-don’t panic. Avec la main gauche, je parviens à désangler les bagages (bis), mais ça ne suffit pas. Avec la jambe gauche, libre, je parviens à passer celle-ci par dessus la moto et forcer au maximum sur le guidon pour le tourner partiellement afin que la roue avant pivote et soulève de quelques centimètres à peine la moto, suffisamment pour que la pression du poids de la moto sur le pied soit moins forte et que je parvienne à l’extraire en force…. Punaise ! petit cri de soulagement ! Une heure de plus pour se reposer, enlever la botte (le pied gonfle), la remettre et soulever la moto pour repartir. Pourquoi tout cela m’arrive dès le premier jour ? Est-ce que va être cela tous les jours ? Il est tard, la nuit tombe, je traiterai ces questions dans un petit restaurant du village blanc, superbe, de Tolox, devant un « secreto iberico negro », un excellent vin, et un pied dans une bassine de glaçons.











Jour 4: Tolox – Calipeira: 290km
Réveil pied endolori, avec une petite plaie que j’essaie de soigner avec ma modeste trousse de secours. Cette deuxième journée sera plus belle encore et plus facile. On étudie la topographie du parcours sous le soleil est les orangers andalous, redresse quelques dégâts bénins sur la moto, remercie l’aubergiste pour les soins prodigués et crème anti-douleur, et on se lance sur de belles pistes, au fur à mesure desquelles se découvre le versant Sud de la Sierra Nevada aux sommets encore enneigés. A l’issue de 250km de pistes on parvient dans les Alpujarras par des routes de montagne, région de la Sierra Nevada revendiquant les meilleurs jambons et fromages espagnols. Je cède aisément sous les revendications, et sombre dans un sommeil profond à la fraiche, dans le plus haut (et magnifique) village de la Sierra Nevada.







Jour 5: Calipeira – Bácor-Olivar: 250km
Jamon au petit dej avant la journée Sierra Nevada, versant Sud, par une piste d’une soixante de kilomètres naviguant au-dessus des 2000m. Vues imprenables sur la Méditerranée, et « el mar de plastico », désastre écologique dont nous sommes les premiers responsables nous européens lorsque nous consommons tomates et poivrons hors été. Successions de petits cols, de cascades. Quelques bergers. Une piste magique durant laquelle on alterne (ou essaie de combiner) plaisir de pilotage et contemplation. On redescend sur Guadix, ville moyenne au Nord de Grenade, dans une vallée géologiquement magnifique avec ses canyons et « rio seco » (ces derniers étant difficiles pour le pilotage, rappelant le ski dans 50cm de neige fraiche – ici des alluvions sous forme d’une épaisse couche très meuble de gravier). On entre progressivement dans la zone désertique de Gorafe, la plus belle découverte de ce voyage, de laquelle, même éloignées de la Sierra Nevada, les plus belles vues sur celle-ci s’enchainent. Vous n’avez pas remarqué ? pas de chutes, pas de galères, tout roule, depuis 2 jours…. Croquetas bien méritées dans une « cueva » (chambre d’hôte troglodyte) sur le plateau qui surplombe l’étonnant désert de Gorafe, à explorer dès le réveil.














Jour 6: Bácor-Olivar – Caravaca de la Cruz: 310km (dont 50 sur petites routes)
Mise en jambe avec quelques kilomètres sur des pistes du plateau entre les villages de Bacor-Olivar et Gorafe, avec les plus belles vues « nord » sur les sommets enneigés de la Sierra Nevada. Puis, le plateau aride se rompt soudainement, et on plonge pour une cinquantaine de kilomètres dont quelques descentes techniques dans les curiosités géologiques du désert de Gorafe. Gorafe: première marche du podium des lieux les plus beaux, reculés, et naturels d’Europe, qu’il m’ait été donné d’arpenter. S’en suivent des zones de vergers et d’oliviers, avec d’impressionnants systèmes anciens d’irrigation. Je quitte la trace du Trans European Trail pour le reste de la journée, pour une trace créée par mes soins dans la Sierra de Cazorla, où j’ai tracé une centaine de kilomètres sur mon navigateur (OsmAnd) qui alternent forêts de montagnes (où nait le Guadalquivir) et hauts plateaux désertiques. Je retrouve la trace du T.E.T à l’issue de ce dépaysement total (où il convient de veiller de s’engager avec au moins 15 litres de carburant, n’ayant pas croisé âmes qui vivent pendant près de 200km de navigation). Quelques kilomètres de petites routes (et un alcootest surprise à la sortie d’un virage, au milieu de nulle part, étonnant) pour rejoindre la jolie ville de Caravaca de la Cruz où je trouve refuge dans un couvent.






















Jour 7: Caravaca de la Cruz – Alcalá del Júcar: 300km
Longue journée de off-road, sur des pistes globalement plus faciles, avec juste quelques petits spots techniques pas infranchissables si on s’y engage concentré et pas épuisé. On a quitté l’Andalousie pour les provinces de Murcia et d’Albacete. Une journée « no man’s land », deux villages seulement aperçus au loin, avec de longues vallées arides à l’horizon, entrecoupées de quelques zones de maquis où la chaleur commence à se faire ressentir dans les petits sentiers techniques à franchir. Au bout de cette journée, on plonge par une piste dans un impressionnant canyon, le canyon du Rio Jucar. On passe la nuit dans le magnifique village de Alcala del Jucar, au fond du canyon, et ses bars troglodytes à tables et chaises « dahut » (du fait des rues très pentues), avant d’explorer plus avant les beautés de ce canyon le lendemain matin.










Day 8: Alcalá del Júcar – La Moya: 190km
Aujourd’hui, je prends mon temps, car 1. Papi commence à être fatigué, depuis 8 jours , 2. Si je dois dépasser les 200 kilomètres, ce sera pour entamer un long passage montagneux de 100km supplémentaires sans possibilité de restauration et d’hébergement le soir à plus de 2000m (Sierra de Javalambre). Je m’engage dans des pistes au fond du canyon du Rio de Jucar, jusqu’à un barrage et une église perché sur un promontoire, en haut du piste technique. Puis j’enchaine prairies fleuries et longe les gorges du Rio Gabriel. Alors que je m’offre une pause ombragée, je vous surgir deux gars. On commence à échanger avec nos anglais à l’accent français, puis reprenons la langue de Molière pour papoter aventures, nature et évasion. Un des deux, Michel, descend jusqu’à Tarifa, pour remonter jusqu’au Cap Nord hors bitume, en 4 mois. Je suis admiratif, un jour ce sera ma route. Une petite demi-heure, le selfie, et chacun repart dans sa direction. J’aime partir à l’aventure seul, m’isoler, me retrouver. C’est le sens même de la fuite hors route. Mais j’avoue qu’au bout de 8 jours, rencontrer de si charmants gars, partageant le même état d’esprit, c’est très agréable. La journée se termine tôt dans la citadelle en ruine de La Moya, où je me sustenterais et dormirais dans l’église restaurée. Hey ! Vous avez remarqué? Pas de chute ou de mise en situation improbable depuis 6 jours ! Cela mérite un sang du Christ !
















Jour 9: La moya – Aliaga: 245km
Voici donc une journée de prise de hauteur dans la province de Teruel. Longue montée vers les sommets de la Sierra de Javalambre, où quelques neiges subsistent à la mi-mai. Montée d’abord facile dans les forêts, puis la pente s’accentue alors que la piste se rétrécie, et les pierres roulantes et marches naturelles s’imposent jusqu’au sommet à 2000m. Descente avec vue, alternant prairies, pierriers. Vigilance de mise. Une fois traversée l’axe Valence – Teruel, on bascule sur une autre Sierra – la Sierra de Gudar, plus boisée, moins hostile, et plus facile à arpenter par des pistes parfois étroites mais non piégeuses. On parvient enfin sur des hauts plateaux cultivés très impressionnants, desquels on sort par une gorge à la pierre blanche à travers laquelle serpente une étroite piste. On parvient à Aliaga, au coeur du Maestrazgo, montagnes aux curiosités géologiques, pour se poser la nuit.



















Jour 10: Aliaga – Gandesa: 195km
Une des journées aux paysages les plus beaux mais au terrain le plus difficile, dans le Maestrazgo, où j’avais fait une première exploration l’été dernier. Concentration et vigilance de mise les 50 premiers kilomètres les plus techniques sur des crêtes, jusqu’à l’impressionnant village de Molinos perché sur un canyon. On se laisse glisser ensuite par des pistes plus faciles jusqu’à Calanda, ville de naissance de Luis Buñel, pour poursuivre vers le Nord durant une centaine de kilomètres de pistes dans des paysages vallonnés alternant forêts de résineux et culture de l’olivier et du cerisier. La fin de la journée approche quand se présente devant moi le Rio Algars, étonnamment chargé en eau et courant (l’Espagne a connu un long épisode pluvieux en avril). Je stoppe 10 mètres avant, vais sonder et observer le passage. La rivière s’est divisée en 3 parties, séparés par des monticules de graviers particulièrement meubles. La chanson des Clash dans la tête « Should i turn back or should i go? ». La technique, je connais : entrer dans le rio avec de la vitesse, bien debout la moto serrée entre les jambes. Pas trop de puissance, juste de la vitesse !! OK, I go…. J’aurais pas du. Première erreur: je n’ai pas retiré les 30 kilos de bagages, et je venais de faire le plein dans un petit village juste avant. J’aurais pu me délester de 50 kilos, je ne l’ai pas fait. Deuxième erreur : la technique je la connais, mais l’appliquer et avoir le courage de vraiment rentrer vite dans le rio, c’est autre chose. Je suis rentré trop doucement. Si bien que je me suis retrouvé enlisé dès le passage du premier gai. Une première heure pour sortir de ce premier piège (sortir les bagages toussa toussa, vous connaissez – coucher la moto – la riper afin de la sortir du trou que l’on a fait au fond de l’eau – la relever – creuser un sillon dans le monticule de gravier à l’avant de la moto pour faciliter son extraction. Cela a marché, mais évidemment, je n’étais qu’au milieu du gai, sans la possibilité de me lancer pour franchir la deuxième moitié. Pas d’autre choix que de tenter … pour me planter une deuxième fois. Même opération (… toussa toussa….), mais en une demi-heure cette fois (learning effect). Heureux d’en être sorti, même si exténué. Le premier village avec le premier « hostal », ça tombe bien en voilà un à 5 kilomètres, fera l’affaire, gentiment, et par la route. Oh, tiens, encore du poulpe !











Jour 11: Gandesa – Rabastens: 580km (dont 300 sur routes et autoroutes)
Début de matinée à redresser quelques éléments de la moto suite au « tankage » de la veille, puis me revoilà reparti. Hésitation sur la décision de boucler la boucle dans la journée ou en deux jours. On se lance et on verra. On commence par naviguer sur les collines de vergers du Sud de l’Ebre avant de rejoindre le fleuve plus bas, et remonter au Nord, rider dans de supers paysages de la Sierra de Montsant. Je décide finalement de sortir de la trace prévue, durant 100km, car peu d’intérêt paysager, plein Nord jusqu’au pied des Pyrénées. Il est 15h, suffisamment de temps pour réaliser les 3-4 heures de pistes entre Espui et Espot, à plus de 2000m durant deux heures, une fois atteint ces hauteurs par une longue piste caillouteuse aux multiples épingles. Un très beau final, les roues dans quelques passages enneigés. On redescend sur Vielha. Reste plus qu’à passer la frontière et rentrer de nuit par la route.















Conclusion
I DID IT !!!
Epuisé, mais heureux de cette pause de 11 jours, loin des villes, du béton, du bitume, …. de l’ordinateur, des mails, du job.
La moto est dans un sale état, mon pied droit, du jour 3, aussi.
But anyway, I DID IT
Bonjour, est ce que tu es passé avec la Tiger par le défilé après Aliaga (Boca del Infierno) puis la grande montée sur le plateau (Cerro de la Puente) ?
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Bonsoir.
J’ai évité le passage de 200-300 mètres réputé « hard », en poursuivant la route quelques kilomètres après la centrale électrique d’Aliaga, pour rejoindre directement le plateau après le passage technique par une piste plus facile. Trop dur de passer là seul. Je connaissais la difficulté.
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Bien vu, je l’ai descendu en avril en KTM 790 R chargée, c’est vraiment délicat et comme tu dis, peut être plus dur que de monter ! Je l’ai évité aussi au retour.
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